Le vin nature plaît pour son côté magique, élaboré selon les seules actions des bactéries et levures naturelles. Ce vin intrigue et surprend. Créations du vivant, certains de ces vins donnent le tournis aux plus grands amateurs et dégustateurs. Les vignerons qui le fabriquent sont-ils des magiciens ?
Dans cet article, nous verrons que la conception de ce vin n’a rien de magique, bien au contraire. Les vignerons qui les élaborent sont des rebelles qui passent outre les barrières des labels, des appellations et parfois même des traditions bien ancrées. Dans un secteur en crise suite à l’épidémie de Covid-19, le vin nature lui est en pleine croissance.
Définition générale
La difficulté de définir le vin nature est certainement son plus gros défaut. Cette définition sera donc notre fil de rouge pour le reste de l’article, au sein duquel nous expliquerons tous les éléments.
Les vins natures n’ont pas de définition dictée par une instance officielle (l’UE ou l’INAO). Il n’y a actuellement pas de charte officielle qui définisse les vins nature comme cela existe pour l’agriculture biologique par exemple. Le seul cahier des charges que nous possédons aujourd'hui est celui de l'Association des Vins Naturels.
Il stipule qu’un vin, pour être appelé naturel, doit être produit de la façon suivante :
- Une viticulture bio ou biodynamique
- Des vendanges manuelles
- L’utilisation de levures indigènes pour la fermentation du jus
- L'interdiction d’utiliser des techniques “brutales” qui peuvent modifier le goût du vin (pasteurisation, filtration trop importante...)
- Aucun intrant oenologique (hormis une dose homéopathique de soufre qui peut être autorisée)
- Tous les composants du vins doivent être, comme pour tous les produits agro-alimentaires, marqués sur la contre-étiquette.
Pour généraliser : Un vin naturel est un vin cultivé dans le respect du vivant, de la terre et la biodiversité. Il doit être bio ou biodynamique et doit être vinifié sans ajout de produits oenologiques et d’utilisation de levures achetées dans le commerce.
Les labels & certifications
Tout d’abord, étudions les différents labels utilisés dans la viticulture actuelle.
Le label HVE (Haute Valeur Environnementale) : établi par le Grenelle de l’Environnement en 2008, il concerne toutes les formes d’agriculture et comporte trois niveaux. Les exploitations les plus avancées dans cette démarche sont “HVE 3”. Ce label récompense les exploitations qui font des choix précis pour la protection des cultures (utilisation d’insecticides limitée en qualité et en quantité), ont une gestion de l’eau la plus vertueuse possible et portent une attention particulière à la protection de la biodiversité, de la faune et de la flore. Il constitue souvent le premier pas des exploitations vers l’agriculture durable.
Les labels d’agriculture biologique : des raisins et des vignes dépourvus de produits de synthèse, d’engrais et désherbants chimiques. Il impose également des restrictions en termes de vinification telles que la réduction (légère) des intrants lors de la vinification. Il autorise tout de même la désacidification et l’acidification, l’ajout de tanins, de copeaux de bois, de soufre, la pasteurisation et les levures industrielles.
Les labels biodynamiques : La biodynamie est un mode de production biologique qui vise principalement à renforcer la qualité et la fertilité des sols. Elle emploie notamment des préparations naturelles (tisanes, composts, etc.) utilisées à doses homéopathiques et prend en compte le calendrier lunaire et planétaire dans les travaux de vigne et les travaux de cave. Les labels autorisent le collage du vin et la filtration, la chaptalisation (ajout de sucre) - uniquement pour les pétillants - et limitent l'utilisation du soufre. Les deux labels principaux sont les labels Demeter et Biodyvin.
L’Association des Vins Naturels (AVN) : Les vins doivent être obligatoirement certifiés bio ou biodynamique, la vinification doit se faire dans le respect du vivant, sans aucune utilisation de produits oenologiques. Seule une dose sporadique de soufre est autorisée.
Vin S.A.I.N.S : Le Label vin S.A.I.N.S pousse la non-intervention lors de la vinification à son paroxysme. Le label stipule qu’aucun intrant extérieur à la vinification naturelle du vin doit être utilisé. Même le soufre y est interdit.
Les sulfites
Les sulfites, sont les sels de l’acide sulfureux (pour nos lecteurs les plus férus de physique, nous vous laissons consulter la page wikipédia sur les sulfites). Ce sont des produits chimiques toxiques.
Les sulfites sont beaucoup utilisés dans l’agro-alimentaire. On les utilise dans le vin, bien entendu, mais aussi dans la bière, le cidre, le chocolat, les chips, les fruits secs et à coques ou encore dans les cornichons. Les sulfites sont renseignés sur nos étiquettes par les nomenclatures suivante E220, E221, E222, E223, E224, E225, E226, E227, E228.
Ils possèdent des vertus anti-oxydantes et anti-bactériennes. Très utiles comme conservateurs, l’utilisation des sulfites est remise en cause par différentes études. Ils impacteraient notamment certaines bactéries du microbiome intestinal. Par ailleurs, 3 à 10% des asthmatiques présentent des réactions indésirables aux sulfites. Les sulfites seraient aussi la cause de certaines crises hémorroïdaires.
Dans le cadre du vin, l’utilisation des sulfites est remise en cause pour leurs effets anti-bactériens. Les sulfites tueraient certaines bactéries et dégraderaient donc de ce fait le potentiel aromatique du vin. Néanmoins, l’ajout de sulfites permet de garantir la conservation du vin, grâce à ses vertus anti-oxydantes et anti-bactériennes. La production de vin nature est donc un vrai défi. La vinification sans intrant accentue le risque de contamination et d’oxydation précoce du vin, c’est-à-dire le risque d’un réel défaut aromatique. L’ajout de sulfite permet donc au vigneron de sécuriser sa production.
Voici ici un tableau récapitulatif des taux de sulfites maximum dans les vins en fonction des labels :
La production et la consommation
La viticulture
Comme expliqué dans la définition générale de l’association des vins naturels, le vin naturel doit être issu d’une viticulture biologique ou biodynamique.
Il est stipulé que seuls les produits d’origine naturelle peuvent être utilisés pour lutter contre les maladies et fertiliser les vignes. La vendange doit donc aussi être faite à la main.
Un collectif défendant les vins natures "morethanorganic" pousse la réflexion jusqu’aux rendements. Il stipule qu’un vin nature léger et simple à boire, aura un rendement maximum de 40 hectolitres par hectare. Un vin nature de garde, lui, aura un rendement maximum de 20 hectolitres par hectare. Une production bien faible comparée à un vin conventionnel ou le rendement moyen est de 57 hectolitres par hectare.
Pour synthétiser, un vin vinifié sans soufre ne sera pas considéré comme vin naturel si les vignes ne sont pas cultivées biologiquement et si le raisin n’est pas récolté à la main. Il sera seulement considéré comme un vin vinifié sans sulfites. Vous pourrez lire “Sans soufre” sur son étiquette par exemple.
La vinification
La vinification du vin nature ne diffère pas d’une vinification traditionnelle. Néanmoins, les intrants et les techniques de vinification brutales sont interdites (flash pasteurisation, collage, filtrage). La vinification sans ajout d’intrant est une tâche très complexe. La condition sanitaire (absence de pourriture et de maladie) de la vendange doit être optimale. L’enjeu numéro 1 est la fermentation via les levures indigènes. Les levures indigènes sont les levures propres au terroir. Ce sont les levures naturellement présentes sur les raisins (notamment sur leur peau) et dans la cuverie. La fermentation alcoolique doit avoir lieu seulement via l’action des levures indigènes. L’utilisation de levures industrielles, achetées dans le commerce, ne reflète pas intégralement le terroir du vin. Les levures industrielles viennent en effet le modifier. Les levures indigènes sont en quelque sorte la signature du terroir mais elles sont aussi plus difficiles à contrôler lors de la fermentation.
Un vin nature ne sera jamais clair et limpide, car il est interdit dans la charte de l’AVN de filtrer ou coller le vin. Le collage et le filtrage sont deux opérations qui permettent de séparer le vin de ses éléments solides, comme par exemple les lies (levures mortes). Le vin subit donc une perte aromatique.
La dégustation
La dégustation d’un vin nature peut être surprenante pour les non-initiés. Les sulfites, rappelons-le, agissent comme un antiseptique pour le vin. Ils protègent le vin des bactéries et permettent aussi de stopper le travail des levures et donc la fermentation. Dans le cadre d’un vin nature, lors de la mise en bouteille, des levures sont encore présentes dans le vin. Dans certains cas, une nouvelle fermentation a lieu à l’intérieur de la bouteille, fermentation très légère qui entraîne une production de CO2 et un fin pétillement. Cette fermentation crée de la réduction dans le vin (arômes de chou et d’écurie), le CO2 contenu dans le vin crée une sensation perlante en bouche.
Pour pallier ces arômes et sensations déroutantes, il faut aérer le vin. Différentes techniques existent pour aérer le vin : le grumer en bouche (rétro-olfaction), l’ouvrir à l’avance et enfin le carafer. Ces techniques vous permettront d’apprécier au maximum votre vin. Si toutefois ces arômes persistent, c’est peut-être que votre vin a été contaminé par des brettanomyces. Ces levures apportent de puissants arômes de légumes en putréfaction et d’arrière-train de vache ou de cheval. Si votre vin est touché par des brettanomyces, il sera impossible à récupérer même avec tous les efforts d’aération.
La conservation des vins nature
Dans un vin conventionnel, les sulfites jouent le rôle de conservateur. L’alcool, le sucre et l’acidité aident aussi à conserver le vin. C’est pourquoi un Sauternes vieillira bien mieux qu’un Sancerre, car le Sauternes possède un taux de sucre, d’acidité et d'alcool élevé.
Le vin nature, lui, est souvent décrié par ses détracteurs comme un vin qui ne se garde pas.
Ces derniers n’ont pas tort. Dans le cadre d’un vin nature élaboré pour être consommé rapidement, son potentiel de vieillissement n'excédera pas 3-5 ans. Mais ils peuvent aussi être des vins de garde. En effet, les vins de certains vignerons expérimentés qui produisent des vins sans soufre depuis longtemps se gardent aussi bien que des vins conventionnels. On peut citer Marcel Lapierre, Pierre Houillon (Maison Pierre Overnoy), Isabelle Perraud et Henri Millan dont vous pouvez lire l’interview sur le site vinsnaturels.fr.
Tous ces émérites viticulteurs qui pratiquent la vinification sans soufre depuis près de 40 ans pour certains, les vins vinifiés sans intrants se gardent tout aussi bien que leurs cousins élaborés conventionnellement (avec du soufre). Les vignerons énoncés plus haut vinifient de façon naturelle depuis plusieurs années et connaissent parfaitement la méthode. Faire du vin nature ne s’apprend pas en un millésime. Les vignerons réduisent un peu leurs taux de soufre chaque année avant de s'essayer à une vinification sans soufre. Il est vrai qu’avec le “boom” des vins natures, certains vignerons novices s’essayent directement à la production de vin vinifié sans soufre. Certains y arrivent brillamment, d'autres ratent leur vinification et toute la production se retrouve alors invendable et imbuvable.
Beaucoup de vins vinifiés sans soufre sont commercialisé seulement en France. Pour leur production exportée, les vignerons vinifiant sans soufre ajoutent une petite dose de soufre à la mise en bouteille afin de protéger le vin des conditions de voyage et de stockage.
Pour pallier l'absence de sulfites, les professionnels du secteur conseillent de garder vos bouteilles de vins nature dans une cave avec une température moyenne inférieure à 14 °C.
Le secret de la conservation du vin résiderait donc dans son lieu de stockage et non dans sa composition.
Le marché et les appellations
Le vin de France
Avez-vous déjà vu des bouteilles de vins vendus sous l'appellation "Vin de France" chez votre caviste ? L'appellation Vin de France est l'appellation la plus “libre” des appellations viticoles françaises.
Des viticulteurs produisant du vin, nature ou non, vendent volontairement leurs vins en appellation Vin de France, afin d’être plus libres sur leur viticulture et leur vinification. Malheureusement, d’autres viticulteurs se retrouvent malgré eux exclus de leurs appellations, ne remplissant pas les critères gustatifs standards. Des viticulteurs sont ainsi obligés de déclasser leurs cuvées en vins de France. Le déclassement d’une cuvée n’est pas un phénomène rare. De très grands vignerons ont vu leur production se faire déclasser, c’est notamment pour le cas d’Alexandre Bain qui s’est vu retirer l'appellation Pouilly-Fumé (Loire). L'iconique domaine Didier Dagueneau s’est aussi vu exclure de la même appellation en 2017.
Le marché des vins nature
Selon le site iDealwine, le prix moyen d’une bouteille en France est de 6,33€. Le prix du vin naturel est bien supérieur à la moyenne française, du fait de ses coûts de production et de ses maigres rendements. Le prix de départ d’une bouteille de vin nature sera selon les appellations autour de 10€. Le prix maximum peut atteindre 1600 euros pour les flacons les plus rares. Le vin nature est aussi en proie au phénomène de spéculation qui touche tout le secteur viticole. Certaines bouteilles de vins natures produites par des vignerons “stars” dépassent aujourd’hui le prix de revente des plus grands Châteaux Bordelais. Voici une liste pour vous aidez à visualiser ces prix (cote moyenne du site idealwine.fr):
- J-F Ganevat - Les vignes de mon père - 350€ (Jura)
- Pierre Overnoy - Arbois Pupillin blanc - 300€ (Jura)
- Yvon Metras - Fleurie “Cuvée Ultra” - 170€ (Beaujolais)
- Xavier Caillard - Les jardins esmeraldins - 1200€ (Loire)
- Le domaine des Miroirs - 600€ (Jura)
- Jean Yves Bizot - Echezeaux Grand Cru - 1500€ (Bourgogne)
- Domaine Prieuré Roch - Chambertin Clos de Bèze Grand Cru - 1600€ (Bourgogne)
Le vin nature doit-il rester comme il est, en-dehors de toute structure ?
Il est difficile d’imaginer borner le vin nature par des règles et des lois qui encadreraient sa production. Le vin est un produit de plaisir, de consommation et de conception. Un vigneron doit être libre de créer et de s’essayer à de nouvelles techniques de vinification tant que sa production n’est pas nocive à celui qui en consomme. La non-structuration de sa production, son respect du vivant et sa vinification sans intrant font la force du vin nature.
Le vin nature est un vin rebelle, qui casse les codes administratifs et gustatifs du monde du vin. Quoiqu’on pense de lui, il permet de dépoussiérer un monde régi par de grands dégustateurs et de grands groupes de production et de distribution qui privilégient parfois un nom, une appellation ou un prix au vin en lui-même.
L’attrait que le vin nature suscite auprès des consommateurs permet au secteur tout entier d’évoluer et de devenir plus respectueux de l’environnement.
Deux chiffres pour imager le chemin qu’il reste à la viticulture française pour se rendre plus éco-responsable :
- La viticulture représente 3% de la surface agricole en France
- ⅓ des produits phytosanitaires consommés en France sont dédiés à la viticulture.
Le vin nature fait donc l’effet d’un pavé lancé dans la cuve (ou dans le marc !), à l’heure où la question d’une consommation responsable, saine et écologique est plus que pertinente ! Vive le vin nature !
"Ceci est un article d'opinion rédigé par César Dechaene, chef de projet "Relation Vignerons" chez Cuvée Privée"