La place des femmes en viticulture est sans aucun doute un “vide historiographique” : les femmes sont les grandes oubliées de ce monde si particulier. Et c’est une grande injustice car elles en ont toujours été parties prenantes. Joséphine de Lur-Saluces ou encore Barbe Nicole Clicquot : certaines d’entre elles ont marqué le monde du vin à jamais. Bien plus, elles ont été encore plus nombreuses à servir de petites mains essentielles à l’élaboration du vin. Aujourd’hui elles sont aussi de grandes consommatrices. En France, elles sont même à l’origine de 65% des bouteilles achetées. Au delà de la consommation, elles deviennent des actrices (re)connues du monde viticole. Une révolution est en marche et les femmes n’ont pas dit leur dernier mot. On vous en dit plus dans cet article.

 

Une forte disparité de genre dans le monde du vin, héritage d’inégalités ancestrales

Historiquement, les femmes ont toujours joué un rôle dans le monde du vin mais celui-ci s’est longtemps cantonné aux travaux dans les vignes : les tâches des femmes se limitant souvent à la cueillette des raisins ou au ramassage des sarments. Les hommes, eux, participaient aux tâches plus “stratégiques” de l’élaboration du vin : vinification, assemblage, etc. Cette division des tâches a contribué à la méconnaissance des compétences des femmes dans le processus d’élaboration du vin. D’ailleurs, pendant longtemps, leur statut a été particulièrement flou : épouses, mères et filles n’étant souvent ni propriétaires, ni salariées, ni associées. Bien sûr, cette situation ne caractérisait pas seulement le monde du vin : au XIXème siècle, le non-salariat ou le demi-salariat des femmes est chose courante. Spécifiquement dans le monde du vin, le père transmet son domaine au fils aîné et ainsi de suite. Pas d’héritage familial donc, ni guère plus d’acquisition puisque les femmes ont pendant longtemps été tenues à l’écart des formations viticoles, les éloignant logiquement des fonctions d’exploitation. À ce sujet, lire l’excellent rapport de Jean-Louis Escudier (La résistible accession des femmes à l'acquisition des savoirs viticoles 1950-2010). À l’heure de la mécanisation des travaux de la vigne dans les années 1950, les femmes sont à nouveau mises à l’écart, considérées comme incompétentes dans la gestion de ces nouvelles technologies. Jusqu’aux années 1970, les femmes dans le milieu viticole sont donc présentes mais cantonnées dans des positions subalternes. 

Ce n’est qu’à la fin du XXème siècle que la situation tend à évoluer : les femmes chefs d’exploitation font leur apparition. Pourtant, aujourd’hui encore les chiffres restent évocateurs d’inégalités persistantes. En France, seuls 31% des exploitants ou co-exploitants viticoles sont des femmes. C’est toujours plus que la moyenne dans le secteur agricole au global : 25%.


Les femmes pénètrent le monde viticole mais restent souvent limitées à des emplois très spécifiques : promotion, commercialisation, oenotourisme. Les activités de production restent majoritairement l’histoire des hommes. En cause ? Les formations viticoles restent encore (trop) souvent l’apanage des hommes même si les statistiques de genre récentes montrent une forte progression des femmes dans ces formations. La minorité féminine s’illustre également au niveau des organisations professionnelles qui régissent le monde du vin (Women of Wine: The Rise of Women in the Global Wine Industry, Ann B. Matasar, 2010). À titre d’exemple, si l’on prend les grandes organisations françaises suivantes, l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO) est présidé par Jean-Louis Piton et l’association “Vigneron Indépendant” est présidé par Jean-Marie Fabre, succédant à Thomas Montagne. L’Institut Français du Vin et de la Vigne est, lui, présidé par  Bernard Angelras, viticulteur dans les Costières de Nîmes (Gard) et président de la Commission Environnement de l’INAO. Voici le reste du bureau du Conseil d’Administration. Outre l’omniprésence du prénom “Bernard”, vous remarquerez assez aisément qu’il n’y a aucune femme.

 

Des femmes influentes dans le monde du vin hier et aujourd’hui

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Jeanne Alexandrine Pommery

Pourtant, certaines femmes notoires ont participé à forger l’histoire viticole inspirant sans aucun doute les nombreuses femmes qui, aujourd’hui, (re)dessinent l’univers du vin. Si certaines fresques égyptiennes antiques montrent déjà des femmes impliquées dans l’élaboration du vin, il faut attendre le XVIIIème siècle pour que l’Histoire retienne des noms féminins. 

Ce sont, pour la plupart, des veuves dont le décès prématuré de leur mari a précipité l’entrée dans le patrimoine viticole. À commencer par la veuve Joséphine de Lur-Saluces qui en 1788, reprend la tête du Château d’Yquem et lui offre alors le prestige international qu’on lui connaît encore aujourd’hui. 

Dans cette lignée, on ne saurait oublier les deux veuves les plus connues de Champagne, Jeanne Alexandrine Pommery et Barbe Nicole Clicquot, qui ont également pris la direction de l’exploitation familiale pour en faire de véritables empires. Ces deux femmes illustres ont notamment mis au point des innovations qui ont marqué le monde champenois pour toujours. Madame Pommery a développé le Champagne “brut” en diminuant le dosage de liqueur pour satisfaire sa clientèle anglaise provoquant une véritable mutation de la production et des goûts en matière de champagne. De son côté, Madame Clicquot est, elle, à l’origine du dégorgement des bouteilles par le procédé de la “table de remuage”. 

 

 

Une révolution est en cours : l’essor des femmes dans le vin depuis la fin du XXème siècle !

Bien qu’encore imparfaite, la diversité de genre est en nette progression depuis ces vingt dernières années. Comme on l’a vu plus haut, un tiers des exploitants viticoles français sont des exploitantes. C’est encore insuffisant mais cela témoigne de la féminisation de la filière viticole. Et pas seulement à la tête des exploitations : dans les caves, les salons ou les vignes, les femmes sont partout. 

Parmi les personnalités les plus influentes du monde du vin, les femmes sont de plus en plus nombreuses.

Pionnière dans le genre, Francine Grill a fait ses preuves dès 1970. Mariée à l’héritier du Château de l’Engarran dans le Languedoc, cette ancienne hôtesse de l’air a su s’imposer dans cette région viticole particulièrement masculine. Un peu plus tard, on peut évoquer Philippine de Rothschild, la reine du Médoc. Alors comédienne, la jeune femme s’est lancée dans le vin en 1988 suite au décès de son père, pour reprendre la direction du célèbre Château Mouton Rothschild. Avec succès puisque le chiffre d’affaires de l’empire a été multiplié par 2,5 durant ses 26 années de direction.

De nombreuses autres femmes aussi talentueuses que passionnées, continuent à s’illustrer dans le monde viticole. En Argentine, Susana Balbo, originaire de Mendoza, l’épicentre du vignoble argentin, fut la première femme argentine diplômée d’oenologie. D’abord consultante pour des domaines aux quatre coins du monde, elle reprend finalement le domaine familial et construit un véritable empire. De même, Sophie Conte en Italie, qui produit des Chiantis d’anthologie. Pour revenir en France, Ludivine Griveau, armée d’un double diplôme d’ingénieur agronome et d’oenologue est devenue en 2015 la première régisseuse de l’iconique Domaine des Hospices de Beaune, en Bourgogne, région même dans laquelle, vingt ans auparavant, des pancartes “Interdit aux dames” siégeaient dans certains chais. On peut également évoquer Caroline Frey, qui a été classée 28ème des 200 personnalités du monde du vin de la Revue des Vins de France. À la tête de trois propriétés familiales, à Bordeaux (Château La Lagune), en Bourgogne (Château Corton C) et dans la Vallée du Rhône (Paul Jaboulet Aîné), elle oeuvre pour une viticuture raisonnée, plus à l'écoute de la terre. Chez Cuvée Privée, nous sommes très heureux d'avoir parmi nos vignerons partenaires ... des vigneronnes ! Cécile et Margaux Laroche, au Domaine d'Henri, s'illustrent dans la région de Chablis. Leur Chablis 1er Cru Fourchaume et leur Chablis Saint-Pierre dont nous proposons les vignes à l'adoption font l'unanimité. 

 

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Jancis Robinson

Les femmes pénètrent également le monde de la prescription, celui des critiques et désormais des influenceurs.

La Britannique, Jancis Robinson est une pionnière de ce mouvement. Elle débute sa carrière de critique en vin en 1975 à l’âge de 25 ans au sein du magazine Wine & Spirit. Plus tard, elle deviendra chroniqueuse pour le Financial Times et écrira le fameux “Atlas mondial du vin”.

Aujourd’hui, son compte Twitter est suivi par plus de 260 000 amateurs de vin, faisant d’elle la critique la plus suivie du monde. 

 

 

Dans le monde de la sommellerie, où l’immense majorité des figures de renom sont des hommes, les femmes commencent également à briser le plafond de verre. On peut ainsi parler d’Estelle Touzet, qui a fait ses gammes dans les plus grands palaces parisiens dont le Bristol (à l’instar de notre formidable Chef Sommelier, Bernard Neveu), le Crillon ou encore le Meurice pour finalement officier au Ritz depuis sa réouverture en 2016.  Aujourd’hui, un quart des sommeliers sont des femmes et cette proportion monte à un tiers chez les oenologues. L’ouverture des formations oenologiques et viticoles à la gent féminine y est bien sûr pour quelque chose. Ce mouvement a démarré dans les années 80 et s’est intensifié dans les années 2000. Les femmes représentent désormais 50 à 60% des nouvelles promues en œnologie.

Même au sein des instances de décisions et des principales institutions du monde viticole, les femmes prennent peu à peu leur place : l’élection de Miren de Lorgeril, en 2018, à la présidence du CIVL (Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc) en est un exemple parlant. À une toute autre échelle, l’Organisation Internationale de la vigne et du vin (OIV) est aujourd’hui présidée par la Brésilienne Regina Vanderlinde.

Ces femmes servent de modèles à toute une nouvelle génération d’amatrices de vin. Encore exceptions au XX siècle, on ne compte plus aujourd’hui les femmes vigneronnes, oenologues, maîtres de chai ou encore sommelières.

 

Les initiatives se multiplient pour mettre en avant la place des femmes dans le monde viticole

Depuis quelques années, des réseaux féminins se créent et s’organisent pour faire entendre la voix des femmes dans le milieu viticole. Les initiatives sont nombreuses pour faire rayonner la gent féminine dans ce milieu traditionnellement masculin. Nous ne pouvons malheureusement pas vous en livrer une liste exhaustive mais souhaitions vous parler de certains d’entre elles. 

Le premier collectif français de femmes en viticulture naît en 1994. Il s’agit des “Aliénor du vin de Bordeaux” qui a pour objectif de mettre en avant le travail des femmes dans la gestion de crus Bordelais.

Dans cette lignée, de nombreux groupes de femmes vigneronnes se sont créés avec un ancrage local :  Les Dames du Layon, Des Elles pour le Chinon, les Médocaines, Gaillac au féminin, Vinifilles, Femmes Vignes Rhône, les Eléonores de Provence, les Étoiles en Beaujolais, Femmes et Vins de Bourgogne, les DiVINes d’Alsace. Ces associations organisent des formations à destination des adhérentes et favorisent les moments d’échanges sur des problématiques partagées par toutes. Elles permettent également de s’associer pour la participation à des salons mutuels pour mutualiser les coûts. L’union fait la force !

Des labels et des prix ont également été créés avec l’objectif de représenter les voix féminines au sein des jurys et in fine des consommateurs. Le label belge “Le Vin des Femmes” met en scène un jury composé à 100% de femmes non-expertes mais grandes amatrices. Dans la même veine, le magazine “Elle à table” a lancé en 2014 un label de confiance qui vise les consommatrices de vins mais qui se démarque évidemment de la notion de “vins de femmes”. Le jury est paritaire et la présidente d’honneur, Virginie Morvan est également Chef Sommelière du caviste Lavinia.

rencontre women do wine

 

Plus récemment, nous pouvons parler de “Women Do Wine”. Cette association, lancée en avril 2017, est l’oeuvre d’un groupe de professionnelles du monde du vin. Jugeant les femmes “insuffisamment mise en lumière” dans l’univers viticole, elle vise à défendre la cause et l’intérêt des femmes dans ce milieu fermé. Aujourd’hui, l’association est dirigée par un bureau composé de 10 femmes issues du milieu viticole et venant de plusieurs pays dont la France, la Belgique, la Suisse et le Canada. Elle a malheureusement fait faillite récemment.

 

Cuvée Privée, l’aventure entrepreneuriale de 3 femmes dans le vin !

fondatrices cuvee privee

 

Le sujet des femmes dans le vin nous tient particulièrement à coeur chez Cuvée Privée. Et pour cause. Nous, co-fondatrices de Cuvée Privée, Marie, Aurélie & Morgane, sommes trois femmes. Trois passionnées par le monde du vin, animées par l’envie d’en dévoiler ses coulisses au plus grand nombre. Nous partageons donc la mission de féminiser ce monde fascinant. Nous sommes d’ailleurs toujours à la recherche de davantage de vigneronnes parmi nos partenaires. Des suggestions ? Faites-en nous part !